POLICE MUNICIPALE: son histoire et son rôle (I)

Publié le par SIPM/FPIP

 

SYNDICAT INDEPENDANT DE LA POLICE MUNICIPALE

SIPM-FPIP/EUROCOP*

LE ROLE DE LA POLICE MUNICIPALE ET DE L’ETAT CENTRAL : ON EN PARLE DEPUIS 1789 ! LES POLICIERS NATIONAUX ET MUNICIPAUX ATTENDENT ENFIN QUE LE DEBAT SOIT TRANCHE !!! C’EST AU GOUVERNEMENT DE LE FAIRE …

 

Source : http://criminocorpus.revues.org/259

 

Les pouvoirs de police : attributs du pouvoir municipal ou de l’État ?

Une police pour qui et pour quoi faire ? Démocratie, ordre et liberté sous la Troisième République 

 

Jean-Marc Berlière

Plan

1. Les héritages

1.1 Les pouvoirs municipaux de police : pouvoirs propres ou pouvoirs délégués, une question fondamentale héritée de la Révolution

1.2 De 1789 à 1870 : les réponses des différents régimes

2. La genèse de la loi municipale de 1884 : débats et les enjeux

2.1 « 14 ans de réflexion »

2.2 Les débats

3. Une réponse ambiguë : la « charte municipale » d’avril 1884

4. L’application de la loi : L’affaire de Carmaux (26 octobre 1896)

Conclusion : L’irréversible processus d’étatisation des pouvoirs des pouvoirs de police (1908-1941)

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Texte intégral

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  • 2 Célestin Hennion, 1906. Archives de la préfecture de police de Paris (APP ensuite) Carton DB3.

« La pratique de l’autorité est toujours une chose délicate ; elle l’est plus encore dans un régime démocratique qui, par sa nature même, par les satisfactions qu’il accorde aux instincts de liberté si profonds chez l’homme, l’entraîne plus facilement hors des limites du respect nécessaire à la liberté d’autrui. La fonction de police est presque tout entière dans la contrainte imposée à la liberté des uns au profit de la liberté des autres. »  2

  • 3 Pour ces questions, on nous permettra de renvoyer à notre ouvrage Le monde des polices en France, 1 (...)

1On ne saurait mieux poser le problème des rapports difficiles et ambigus, liant police et démocratie, ordre et liberté. La IIIe République, parce qu’elle fut premier régime républicain de longue durée, constitua le champ d’expérience par excellence d’une pratique policière républicaine qui était à inventer 3.

Elle le fut aussi des principes.

Par principes nous entendons notamment les réponses apportées à cette question incontournable : une police pour qui et pour quoi faire ?

Notons que dans le domaine théorique l’héritage, quoique prestigieux, était bien maigre.

2Pour garantir le primat de la liberté contre l’arbitraire, les hommes de 1789 avaient assigné une tâche originale à la police : la conservation des « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » définis par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». Ils avaient en outre précisé que cette « force publique » créée pour la « garantie des droits de l’homme », devait être instituée « pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée » (article 12).

3Le propos pour paraître clair n’en pose pas moins quelques questions aux enjeux considérables. D’abord celle de savoir à qui la police doit être confiée : un problème récurrent qui touche à la nature de ces pouvoirs et aux libertés municipales. Or dans ce domaine, deux conceptions s’affrontent depuis la Révolution. Pour les uns, la police est essentiellement un attribut du pouvoir local : c’est la conception qui triomphe dans la loi municipale de décembre 1789 par méfiance et hostilité au pouvoir royal. Pour d’autres, au contraire la police est essentiellement une attribution et une prérogative du pouvoir central, du gouvernement, de l’Etat : c’est la tendance jacobine qui l’emporte notamment sous le Directoire et l’Empire.

4La première difficulté des législateurs des années 1870-1880 fut de choisir entre les conceptions libérales et décentralisatrices de 1789 et les réflexes centralisateurs que les régimes ultérieurs avaient alternativement défendus, la réponse donnant tout son sens et sa couleur à la nouvelle république. Son degré de démocratie réelle devant en partie se mesurer à la répartition qu’elle allait opérer de ces pouvoirs entre l’Etat et les communes : quelle part d’autonomie allait-elle leur laisser ? Quel contrôle de l’Etat allait-on leur imposer ?

5À l’heure où le « modèle » policier français centralisé et étatisé est remis en question, il est intéressant de chercher dans la loi de 1884, mais également dans sa genèse et l’application qui en fut faite, quels choix opérèrent les hommes de la IIIe République.

1.1 Les pouvoirs municipaux de police : pouvoirs propres ou pouvoirs délégués, une question fondamentale héritée de la Révolution

6Alors que pendant longtemps il avait semblé admis que le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique était l’affaire du pouvoir local, on va voir s’opposer, au fur et à mesure du développement du pouvoir central, deux conceptions de la police. Ce que nous appellerons la tendance centralisatrice ou centripète l’emporte sous la Convention, le Consulat et les deux Empires, alors que la tendance décentralisatrice ou centrifuge, traditionnelle de l’ancienne France, avait été confirmée par la législation de la Constituante et notamment par la loi municipale du 14 décembre 1789 (Lire les articles 49 et 50). En conséquence elle distingua dans les fonctions de police remplies par les corps municipaux (article 49), celles qui étaient des attributions « propres au pouvoir municipal » et s’exerceraient sous la « surveillance » de l’administration (art. 50), de celles qui étaient « propres à l’administration générale de l’Etat » et « déléguées » par elle aux municipalités (article 49) qui devraient les exécuter sous « l’autorité » de l’administration et énumérées dans l’article 51 : des précisions riches d’interprétations divergentes. La querelle sur la nature des pouvoirs de police et les prérogatives respectives des pouvoirs locaux et du pouvoir central dans ce domaine, trouve là ses origines…

  • 4 Notamment sous la monarchie constitutionnelle par Henrion de Pansey (Du Pouvoir municipal, de sa na (...)

7C’est en effet dans ce texte que l’on trouve les origines d’une conception régulièrement défendue tout au long du XIXe siècle 4, selon laquelle il existe un « pouvoir municipal propre » antérieur aux autres pouvoirs. Pour les tenants de cette thèse le texte de décembre 1789 reconnaît et consacre cette existence par son article 49 : « Les corps municipaux auront deux espèces de fonctions à remplir, les unes propres au pouvoir municipal, les autres propres à l’administration générale de l’État et déléguées par elle aux municipalités ». Conformément à ce principe, l’article 50 de cette même loi confiait au pouvoir municipal, le soin de « faire jouir les habitants d’une bonne police ». Cependant cette loi distinguait bien, dans les fonctions de police remplies par les corps municipaux, celles qui étaient des attributions « propres au pouvoir municipal » et s’exerceraient sous la « surveillance » de l’administration (article 50), de celles qui étaient « propres à l’administration générale de l’Etat » et « déléguée » par elle aux municipalités qui devraient les exécuter sous « l’autorité » de l’administration (article 51) : la querelle, qui va durer plus d’un siècle, sur la nature des pouvoirs de police, trouve là ses origines.

8Pour les uns, il existe bel et bien des pouvoirs municipaux de police, ils sont exercés sous la surveillance de l’autorité centrale, mais ce sont des pouvoirs qui appartiennent en propre aux municipalités et qui concernent ce que l’on va appeler la « police municipale » dont les finalités sont évoquées par l’article 50 de la loi du 14 décembre 1789 et énumérés avec beaucoup de précision par l’article 3, titre XI, de la loi des 16-24 août 1790 (Lire l’article)

  • 5 « Les fonctions propres à l’administration générale, qui peuvent être déléguées aux corps municipau (...)
  • 6 Une telle interprétation semble confirmée par une « Instruction » de l’Assemblée qui accompagnait c (...)

9Le législateur a bien pris le soin de distinguer cette « police municipale » exercée en vertu d’un pouvoir propre de la « police générale », définie à l’article 51 5, qui, elle, appartient de droit à l’Etat même si celui-ci en a concédé l’exercice local, pour des raisons pratiques, aux corps municipaux qui l’exerce par délégation et sous l’autorité de l’administration 6.

  • 7 E. Miriel, Des rapports des municipalités et du pouvoir central en matière de police, thèse de Droi (...)
  • 8 Ibid., p.13.

10Pour d’autres commentateurs, cette interprétation est totalement erronée : le prétendu « pouvoir municipal » n’existe pas, il n’est qu’une concession de la part du pouvoir central dont il procède et auquel la commune doit son existence. La nature du pouvoir de coercition qui est indispensable pour sanctionner les règlements de police apparaît comme un attribut essentiel de l’État, seul investi de la souveraineté. Quant à l’article 49 de la loi du 14 décembre 1789, qui a formulé « ce principe si discutable » 7, ils l’expliquent ainsi : l’expression de « pouvoir propre » a été employé par les rédacteurs sans qu’ils y aient attaché l’importance qu’on lui attribuera plus tard, « c’était une sorte de lapsus » 8, comme le prouvent, selon eux, les Bases fondamentales de la Constitution, promulguées le 3 novembre 1789, après treize jours de discussion et de débats, il n’y est pas question de « pouvoir municipal » à côté des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Pour les rédacteurs de la loi de décembre 1789 « pouvoirs » aurait été synonyme de « fonctions » et, à l’appui de cette thèse, on fait remarquer que l’article 50 parle des « fonctions propres au pouvoir municipal » et, de surcroît, il semble bien qu’en plaçant le pouvoir de police des municipalités « sous la surveillance et l’inspection des assemblées administratives » des districts et départements, le pouvoir central cherchait à conserver un droit de contrôle et de surveillance limitant singulièrement ce prétendu « pouvoir propre ».

11A défaut d’être simples, les principes affirmés et le système mis en place par la Constituante avaient au moins le mérite d’être logiques : dans le domaine de la police, et sans doute autant par méfiance à l’égard du pouvoir royal que par conviction libérale, elle confiait de larges attributions de police aux municipalités, mais elle prenait bien soin de distinguer les pouvoirs de police générale qu’elles exerceraient comme agents du gouvernement central et sous son autorité, des pouvoirs de police municipale, propres au pouvoir communal, mais néanmoins exercés sous la surveillance de l’administration.

Un tel système aboutissait à une organisation particulièrement décentralisée, voire émiettée, de la police.

12C’est par référence à ce modèle que les différents régimes vont devoir se déterminer. Si leurs options diffèrent on retrouve cependant, plus ou moins nettement affirmée selon les régimes, une préoccupation constante du pouvoir central : retenir ou retrouver certains pouvoirs de police et contrôler les autorités qui en sont chargées.

1.2 De 1789 à 1870 : les réponses des différents régimes

13Avant d’évoquer succinctement les choix des différents régimes qui se sont succédé entre 1789 et 1871 en matière de répartition des pouvoirs de police, il faut observer que, tout autant que la législation en vigueur, le mode de désignation des maires interfère avec le statut des polices municipales. En effet quand le pouvoir de police municipale est confié à un maire, il n’est pas indifférent de savoir si ce magistrat est élu ou s’il est nommé et révoqué par le pouvoir central. Dans ce cas il devient un rouage administratif de l’État, totalement dépendant du pouvoir central, qui ne prend donc aucun risque en lui confiant le commandement et la responsabilité de la police municipale. Or, si depuis 1789, les pouvoirs de police municipale ont essentiellement appartenu aux maires, la question de la nature des pouvoirs de police ne se posait pas puisque la plupart du temps les maires appartenaient à l’administration qui les nommait : il n’y avait alors aucun inconvénient à leur confier l’intégralité des pouvoirs de police 9.

  • 9 De fait, les règles en usage pour la désignation des maires, constituent un élément important dans (...)

14Tout autre est le problème quand ce maire, chef de la police municipale, est élu et devient ainsi indépendant du pouvoir central : celui-ci perd alors la direction effective d’une police municipale émiettée en autant de polices qu’il y a de municipalités. La question de savoir si le maire agit comme représentant du pouvoir central ou comme chef de la municipalité n’a alors guère d’intérêt pratique car le maire élu ne se considère pas comme le subordonné du préfet, il se trouve dans une situation relativement indépendante vis à vis du pouvoir central et, au contraire, il dépend étroitement de ses électeurs.

Pour l’essentiel les dispositions des lois de décembre 1789 et août 1790 furent rapidement abandonnées.

15Les premiers retours en arrière datent de l’an III, mais c’est surtout la législation de l’an VIII qui marque une date importante dans l’histoire des rapports entre les communes et l’État central en matière de police : elle atteint le maximum de centralisation de la police municipale. La loi du 28 pluviôse an VIII remet la police municipale à des maires et des adjoints désormais nommés et révoqués par les préfets et l’arrêté du 5 brumaire an IX place les commissaires de police municipaux créés par la loi du 29 septembre 1791 dans une étroite dépendance vis à vis du ministre de la Police. C’est avec l’arrivée au pouvoir de Bonaparte que le premier dessaisissement des pouvoirs de police au profit de l’État et aux dépens de l’autorité municipale commence. Le premier Consul dote Paris d’un Préfet de police nommé et révoqué par lui (arrêtés de Messidor et Ventôse an VIII) : une décision riche d’avenir puisque la capitale gardera cette organisation particulière de sa police pendant plus d’un siècle et demi et que c’est sur ce modèle que se feront les autres étatisations de polices municipales.

16Cette série de pas en arrière fut suivie d’une avancée libérale importante sous la Monarchie de Juillet, avec la loi municipale du 18 juillet 1837 qui reconnaît aux communes des droits de police. En effet les maires -nommés par le gouvernement, mais obligatoirement parmi les membres du conseil municipal- retrouvent leurs missions de police générale et de police municipale sous l’autorité et la surveillance de l’autorité supérieure, comme cela est précisé aux articles 9 et 10 : « Le maire est chargé, sous l’autorité de l’administration supérieure : 1/ de la publication et de l’exécution des lois et règlements ; 2/ des fonctions spéciales qui lui sont attribuées par les lois ; 3/ de l’exécution des mesures de sûreté générale. » (article 9). « Le maire est chargé, sous la surveillance de l’administration supérieure : 1/ de la police municipale, de la police rurale, de la voirie municipale et de pourvoir à l’exécution des actes de l’autorité supérieure qui y sont relatifs. » (article 10)

17Mais le pouvoir central se réservait un moyen de contrôle sur cet exercice des droits de police des maires par l’article 15 qui prévoyait le dessaisissement des maires et le droit de substitution des préfets : « Dans le cas où le maire refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le préfet, après l’en avoir requis, pourra y procéder d’office par lui-même ou par un délégué spécial. »

18Toute libérale qu’elle ait pu sembler être par rapport aux législations antérieures, cette loi ne dissimulait donc pas que le rôle du maire, en matière de police, est, peu ou prou, celui d’un agent du pouvoir central.

C’était cependant encore trop d’abandon de la part de l’Etat pour Louis Napoléon Bonaparte sous les gouvernements duquel on assiste à une nouvelle réaction autoritaire visant à dépouiller les maires de toute autorité efficace.

  • 10 Alors que la loi de pluviôse an VIII ne les rendait obligatoires que dans les villes de 5 000 habit (...)
  • 11 Circulaire du 31 décembre 1852.
  • 12 Le décret du 22 mars 1854 en limitera l’implantation à trois départements : les Bouches du Rhône, l (...)

19C’est d’abord la loi du 19 juin 1851 qui, malgré l’opposition vigoureuse du conseil municipal, puis des républicains à l’Assemblée, donne au préfet du Rhône, pour l’agglomération lyonnaise, les mêmes pouvoirs que ceux du Préfet de police pour les communes du département de la Seine. Autre renforcement de la mainmise de l’État sur la police au détriment des pouvoirs locaux en 1852, quand, par les décrets des 25 et 28 mars, on donne au préfet la nomination des gardes champêtres et de Maupas impose la présence d’un commissaire de police « cantonal », nommé par le pouvoir central, dans chaque chef-lieu de canton 10, « fonctionnaire de l’Etat, placé à ce titre et quant à ses attributions, sous l’autorité directe des préfets » 11, sa subordination à l’égard de l’autorité municipale se limite à l’exercice de la police municipale. Un autre décret de Maupas, le 5 mars 1853, instituait même, auprès du préfet, un Commissaire de police départemental, ayant sous ses ordres tous les commissaires de police du département 12. Enfin la loi du 5 mai 1855, par son article 50, étendait aux chefs-lieux de département de plus de 40 000 habitants (dix-sept villes à l’époque) les mesures imposées par la loi du 19 juin 1851 à l’agglomération lyonnaise : le préfet s’y voyait attribuer les mêmes fonctions de police générale que le Préfet de police dans le département de la Seine, les maires gardant certains objets de la police municipale minutieusement délimités : « Les maires restent chargés, sous la surveillance du préfet [...] de la police municipale en tout ce qui a rapport à la sûreté et à la liberté du passage sur la voie publique, à l’éclairage, au balayage, aux arrosements, à la solidité et à la salubrité des constructions privées ; aux mesures propres à prévenir et à arrêter les accidents et fléaux calamiteux tels que les incendies, les épidémies, les épizooties, les débordements ; aux secours à donner aux noyés ; à l’inspection de la salubrité des denrées, boissons, comestibles et autres marchandises mises en vente publique et de la fidélité de leur débit. »

Cette loi enlevait aux maires tout contrôle sur le choix des personnels et l’organisation des services.

L’évolution libérale du Second Empire se traduisit par quelques réformes dans ce domaine.

  • 13 Dont on n’aura garde d’oublier toutefois qu’elles étaient dirigées par des maires désignés par le p (...)
  • 14 J.-F. Tanguy observe que pour Rennes le préfet d’Ille-et-Vilaine se contentera, jusqu’en 1884, d’en (...)

20La loi municipale du 24 juillet 1867 abrogea l’article 50 de la loi de 1855 et si Paris et Lyon conservent leurs polices d’État, les municipalités des chefs-lieux de département de 40 000 habitants 13 retrouvent leurs pouvoirs de police définis depuis la Constituante, et le recrutement des personnels (sauf les commissaires de police), le pouvoir central se réservant toutefois de fixer, par décret impérial et le Conseil d’État entendu, l’organisation des services et le cadre des effectifs de police, mais sur l’avis du conseil municipal, et l’agrément des personnels présentés par le maire. 14. Les communes supportent toujours la charge financière des dépenses de police ce que d’aucuns considèrent comme la contrepartie de leurs pouvoirs dans ce domaine. Si un conseil municipal refusait de voter les fonds exigés par les dépenses, ou n’allouait que des sommes insuffisantes, l’allocation nécessaire serait inscrite au budget municipal par décret.

  • 15 Mis à part l’ultime avatar libéral de l’Empire que représente la loi de juillet 1870 sur la désigna (...)

21Telle est la situation 15 dont vont hériter les hommes du quatre septembre. Intransigeants sur les principes dans leur opposition résolue à l’Empire, comment vont-ils agir une fois arrivés au pouvoir ? Cette arrivée se faisant dans des conditions exceptionnelles dues à la guerre et à l’invasion vont-ils revenir aux principes de la Constituante ou à ceux de l’an III ? La défaite des républicains aux élections de janvier 1871 et l’exercice du pouvoir, pendant plusieurs années, par des monarchistes en mal de restauration, vont encore ajouter à la confusion et contribuer à rendre la législation de la période 1871-1879 confuse voire contradictoire selon les options et les arrière-pensées des groupes au pouvoir.

2.1 « 14 ans de réflexion »

22En 1870, dès la république proclamée, la tendance « autonomiste » semble triompher avec des mesures telles que la suppression, par arrêté du ministre de l’Intérieur (Gambetta) du 10 septembre, de ces commissaires de police cantonaux qui avaient renseigné l’Empire sur les moindres mouvements de la vie publique provinciale, et surtout le retour au principe électif pour les maires. A cet effet, l’Assemblée de Bordeaux vota, le 14 avril 1871, en pleine Commune de Paris, une loi, présentée par le ministre de l’intérieur E.Picard et rapportée par Batbie, en vue de reconstituer les municipalités. Quoique provisoire cette loi du 14 avril 1871 allait, pour l’essentiel, rester en vigueur jusqu’en avril 1884, et même se révéler définitive pour Paris. Elle abrogeait celles de juillet 1867 et juillet 1870 et confiait l’élection des maires aux conseils municipaux sauf dans les villes de plus de 20 000 habitants, les chefs-lieux de départements et d’arrondissement où, sur les instances de Thiers, l’Assemblée consentit à laisser provisoirement la nomination des maires au gouvernement.

23Mais l’Ordre moral allait revenir sur ce système et restituer au pouvoir central la nomination des maires et adjoints : ce qui lui permit, en revanche, de confirmer une « municipalisation » sans grande signification de la police, sauf toutefois pour la ville de Lyon. La loi du 4 avril 1873 y supprimait la mairie centrale : le préfet du Rhône se voyait investi de tous les pouvoirs d’un maire.

24La reprise en main des municipalités fut l’œuvre de la loi déposée par le duc de Broglie, ministre de l’Intérieur, le 28 novembre 1873. Le projet revenait à la loi de mai 1855 et restituait au pouvoir central la désignation des maires et des adjoints en même temps qu’il augmentait sensiblement les attributions des maires dans le domaine de la police municipale en leur confiant, par exemple, la nomination des personnels. Cette loi du 20 janvier 1874 allait rester en vigueur jusqu’en 1884 pour ce qui est de la direction et de l’organisation de la police municipale.

25Il n’en alla pas de même pour la désignation des maires. Sous la pression d’élus républicains de plus en plus nombreux, la « loi de Broglie » fut abrogée, à la Chambre, en juillet 1876. Sur la présentation d’un projet de retour à la loi de 1848 présenté par J. Ferry et sur les instances de de Marcère, ministre de l’Intérieur, qui voulait garder la désignation des maires des chefs-lieux de canton, les députés votèrent le retour à l’élection des maires par les conseils municipaux dans toutes les communes sauf les chefs-lieux, mais en contrepartie ils votèrent également la restitution aux maires de leurs pouvoirs de police antérieurs à la loi de janvier 1874. Cette dernière modification fut repoussée par le Sénat et la loi, ne concernant plus que la désignation des maires, fut promulguée le 12 août 1876 : les maires sont désormais élus par les conseils municipaux sauf dans les villes chefs-lieux de département, d’arrondissement, de canton.

26De Marcère quitte le ministère de l’Intérieur en décembre 1876 non sans avoir déposé, pour sortir de la situation provisoire dans laquelle on se trouve depuis avril 1871, la première partie d’un projet de loi municipale. Son successeur Jules Simon en dépose la deuxième partie le 15 mars.

  • 16 Séances des 7, 8, 10, 12 & 14 mai in Journal Officiel, 1877 (de 1871 à 1879, il n’existe qu’un (...)
  • 17 La commission (rapporteur Jozon) chargée de l’examiner ne fut nommée que le 29 avril 1880. La propo (...)
  • 18 Entre temps la loi du 21 avril 1881 avait rétabli la mairie centrale à Lyon.

27Dans l’Exposé des motifs qui accompagne ce projet il propose de prendre la loi de 1837 comme modèle, mais en plus libéral, et d’élargir le cercle de l’action municipale. Après qu’une commission extra-parlementaire réunie à cette intention se soit vue soumettre les deux projets (celui déposé par de Marcère le 29 mai 1876 et celui de Jules Simon), c’est en mai 1877 16, que les députés en commencent la discussion. C’est à propos de ce projet d’organisation municipale qu’éclate le conflit qui va aboutir à la crise du 10 mai et à la dissolution de la Chambre par Mac Mahon. Les élections du 14 octobre ayant reconduit une majorité républicaine, le 26 novembre, Pascal Duprat dépose un projet de loi, en 162 articles, reproduisant l’essentiel des dispositions qui figuraient dans les projets de Marcère et Simon. Alors que ce texte était examiné en commission 17, le gouvernement demanda l’urgence pour deux projets portant sur des points particuliers, projets qui aboutirent au vote de la « loi Goblet » du 28 mars 1882 restituant l’élection des maires aux conseils municipaux de toutes les villes sauf Paris 18.

  • 19 La première délibération s’étala sur de nombreuses séances en février & mars 1883 (séances des (...)
  • 20 Cette loi ne concernait pas Paris dont l’organisation municipale resta donc régie par la loi du 14 (...)

28La commission des lois municipales, présidée par de Marcère, déposa enfin son rapport le 19 décembre 1882. Après de nombreux débats, de nombreuses péripéties et diverses navettes entre les députés et les sénateurs 19, la loi, enfin votée, fut promulguée au Journal Officiel du 6 avril avec la date du 5 avril 1884. 20.

29Cette chronologie traduit les hésitations et les difficultés rencontrées par les législateurs pour adopter une organisation municipale d’autant plus déterminante que, depuis la loi de 1882, les fonctions municipales sont électives et échappent de facto au pouvoir central. Les longs débats qui ont accompagné cette difficile rédaction permettent d’analyser les enjeux, et d’observer des attitudes d’autant plus intéressantes qu’elles ne sont pas indifférentes à la position relative qu’occupent les protagonistes par rapport au pouvoir.

 

 

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