Sécurité : le maire est le vrai patron

Publié le par SIPM/FPIP

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Faut-il sanctionner les maires « coupables » de mauvais résultats en matière de sécurité publique. La polémique lancée cet été par Christian Estrosi souligne le paradoxe : à des maires qui ont considérablement augmenté leurs pouvoirs et leurs moyens en matière de police municipale, l'État n'a pas procédé à la mise à jour juridique indispensable aux résultats qu'il demande désormais aux maires. Quand l'État assumera-t-il l'irréversible localisation de la sécurité publique ?

 

La Lettre du Cadre Territorial numéro 406 (1er septembre 2010)

Un article de M Sebastian Roche


     

À   l'heure où le pouvoir, confronté à des résultats ambigus en matière de sécurité publique, en vient à demander des résultats aux maires, un constat s'impose : l'exercice de la police des villes s'est considérablement transformé. Les maires ont pris une place grandissante, les polices locales sont revenues en odeur de sainteté, leurs pouvoirs ont augmenté... Si cette montée en puissance s'est faite en grande partie sur le manque de moyens financiers de l'État. Le maire est un patron pour la sécurité locale, il n'y a pas de retour en arrière possible, reste à savoir quand l'État lui consentira les pouvoirs juridiques qui vont avec ce nouveau rôle.


Une double montée en puissance

Les observateurs attentifs auront donc noté la double montée en puissance du maire dans les politiques locales de sécurité et d'un de ses outils, les polices municipales. Les maires ont grandement contribué à la rénovation des politiques de sécurité au plan national et local.
C'est un élu local, Gilbert Bonnemaison, qui a dirigé la commission du même nom, qui proposait, il y a plus de 25 ans déjà, de prendre au sérieux la dégradation de la sécurité des particuliers, afin de rééquilibrer les priorités et la prééminence donnée à la gestion de l'ordre public et la sécurité de l'État. Il préconisait une politique équilibrée suivant un slogan resté fameux et d'actualité : « Prévention, Répression, Solidarité ». Les ­premiers conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) allaient être établis dans la foulée, coprésidés par le maire et le préfet ; à cette époque c'était une petite révolution. À la même période, d'autres élus locaux, et notamment des élus du Sud-Est, comme le maire de Nice, avaient déjà entamé le développement de leurs forces de police.
Depuis cette époque, le rôle des maires a continué à prendre de l'ampleur et leurs polices se sont étoffées. Les maires établissent et président les petits enfants des CCPD, les CLSPD. Ils se sont fait conseiller par d'anciens commissaires de police et colonels de gendarmerie, ont établi des services dédiés à la sécurité, ici des services de « prévention et sécurité » lorsqu'ils ont souhaité les intégrer tous sous un responsable unique, ou là plusieurs services (prévention, police, vidéosurveillance). Mais partout, les organigrammes municipaux ont été refondus. Les coûts se sont élevés, à la fois parce qu'il a fallu recruter plus d'agents, mais aussi les équiper et les payer mieux.
La police municipale compte plus d'agents. Ils sont aujourd'hui environ 20 000 contre 5 600 en 1983, soit une multiplication par 3,5 en 25 ans quand les forces nationales ont progressé de 15 % (même si elles restent très majoritaires). Et, tandis que leur était reconnu le statut d'adjoint de police judiciaire, ils ont obtenu de plus en plus de pouvoirs en matière de police de la route, de relevé, puis contrôle d'identité et dernièrement d'enquête. Les policiers municipaux participent même au service d'ordre de grands événements comme le Tour de France. Enfin, les élus locaux ont voulu pouvoir créer des formes de polices locales qui traversent différentes communes pour partager un certain nombre de coûts et se coordonner. Les juristes ont trouvé les solutions.


Les raisons d'une relocalisation

Pourquoi assiste-t-on à une relocalisation de la sécurité ? Il y a des raisons structurelles appelées à durer. La première est liée à la décentralisation. En renforçant différentes fonctions des élus locaux, on conforte leur rôle de premier interlocuteur de la population. Si le maire est en charge des maternelles, comment peut-il se tenir à l'écart des questions de la violence à l'école ? Le maire devient le responsable de la commune, dans toutes ses dimensions. Et, la sécurité les affecte toutes : logement, transport, école, commerces etc. Les fonctions limitées de coordination de la prévention dans le cadre des CLSPD ou de la « loi de prévention de la délinquance » de 2007 confiées au maire prennent leur sens dans ce cadre politique. C'est bien cette centralité du maire qui impose le développement de son action en matière de sécurité. Le débat s'est donc significativement déplacé : aujourd'hui, on ne se dispute plus sur le fait de savoir s'il faut une police municipale ou non, mais sur le niveau de son armement. La droite veut des armes à feu et des pistolets électriques, les Écologistes veulent désarmer les agents. Le Parti socialiste hésite.
La seconde raison est liée au fait que les forces de police sont largement nationales, et au final guère à l'écoute des usagers locaux. L'agenda du ministre de l'Intérieur est lié aux objectifs du président ou Premier ministre (suivant qu'on est en période de cohabitation ou non), qui est lui-même tendu vers des échéances politiques nationales. La police et la gendarmerie nationales rendent compte au préfet (qui représente le pouvoir central), qui rend compte à sa hiérarchie à Paris, laquelle ne rend pas compte aux usagers. Il y a un vide politique et administratif entre les usagers et les forces nationales. Que le commissaire déplaise à la population ne l'empêchera pas d'avoir une promotion. Mais qu'il déplaise au ministre ou au président...
La même chose est vraie pour le préfet. Il n'existe en France aucune forme institutionnalisée de consultation de la population sur les questions de sécurité qui engagent les forces d'État, ni au niveau central, ni au niveau local. Le passage météoritique des ministres dans les villes et banlieues ne compense pas ce manque. Les nouvelles polices d'agglomération n'y changeront rien, comme on le voit avec le cas de Paris, le plus avancé : il fait du préfet de police le patron du grand Paris, déconnectant plus encore le directeur départemental de la sécurité publique de ses « partenaires » issus du département ou des municipalités. Dans ce contexte, on comprend aisément la supériorité de la police municipale : l'usager peut parler à son maire, et le maire doit penser « local » pour être réélu.


La sécurité publique n'est pas une priorité

Une troisième raison tient au poids des corporations. Les policiers municipaux sont nombreux. Lorsqu'il n'y a que deux agents, le fait qu'ils se mettent en grève est d'une importance relative. Lorsqu'ils sont vingt, il faut appeler « leurs collègues » de la police nationale pour les évacuer du bureau du maire. Plus ils occupent de fonctions, plus leurs revendications seront difficiles à ­contenir. Y compris celles qui tiennent aux effectifs nécessaires pour remplir leurs missions. La même logique est vraie avec les services de vidéosurveillance : si les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, c'est qu'il faut augmenter leur taille. L'ascendant de ces chefs de services sur leurs élus est proportionnel à l'ampleur des services eux-mêmes. Un chef de service décide rarement que son équipe doit être dissoute.
Une quatrième raison doit être ajoutée. Regardons les choses de haut. L'État central s'intéresse aux renseignements (il a réformé cette police), aux groupes d'intervention qu'il a dotés en moyens et en effectifs (et ils vont être sous peu réformés) et au maintien de l'ordre ainsi qu'à la protection de la capitale (qui est riche en policiers) contre une invasion venue des banlieues. La sécurité publique n'est clairement pas une priorité. Aucune doctrine d'État, mais des slogans
politiques (« la répression est la meilleure des préventions »), aucune vision d'État mais des petits pas en avant et en arrière (par exemple avec les Uteq). Or, c'est de cette sécurité que le maire est comptable devant les citoyens.


Le poids des contraintes budgétaires

Une dernière raison plus récente, pèse de tout son poids : les contraintes budgétaires. Alors que le fait de valoriser la police municipale était un trait de l'opposition, et qu'une fois aux affaires l'ex-opposition revenait sur le sentier bien battu de « la sécurité est la responsabilité de l'État », la crise durable des finances publiques amène à penser à l'envers.

Les effectifs de police nationale (très abondants en France, et surabondants en maintien de l'ordre) vont diminuer. La police d'État, bien mieux équipée qu'avant les plans de modernisation du milieu des années quatre-vingt (réalisés sous la houlette de Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur de François Mitterrand), bien formée et bien payée, coûte très cher. Trop cher, nous fait comprendre le ministère des Finances. C'est la rançon de la générosité des gouvernements vis-à-vis des syndicats dans la cogestion du secteur. La recherche des ­partenariats publics-privés (pour ne pas dire plus) et la reconnaissance du rôle désormais essentiel des policiers municipaux en découlent.
Les vilains petits canards d'hier, suspectés d'être les gardes prétoriens de seigneurs féodaux, sont aujourd'hui de beaux cygnes blancs, dans les yeux du ministre de l'Intérieur et même de syndicats de police nationale. Il n'est plus tabou de penser à les armer comme les « vrais » policiers. L'État a, de surcroît, besoin de l'argent des maires pour financer le fonctionnement de la vidéosurveillance. N'est-ce pas le bon moment pour doper les pouvoirs des policiers du maire ? Dans notre système décentralisé et à la fois sous tutelle centrale, le gouvernement a décidé avec la LOPSI 2, contre l'avis rendu le 4 mars 2010, d'étendre les compétences judiciaires des policiers municipaux. Les maires deviennent ainsi les patrons de services qui faisaient de la police administrative mais qui demain feront de plus en plus de la police judiciaire.


Quel rôle demain pour les municipaux ?

On comprend le chemin parcouru en 30 ans. La France est toujours un pays centralisé. Et les forces de police restent essentiellement nationales. Mais, les marges de manœuvre sont locales. Particulièrement dans les grandes villes, les élus sont incontournables dans la gestion de la sécurité : par la légitimité qu'ils détiennent, par les outils techniques qu'ils ont construits et payés (et notamment la vidéosurveillance), et par la marge de progression existant dans leurs services si l'on se focalise sur la police d'investigation (qui va notamment leur permettre d'exploiter leurs outils techniques).


Pas de retour en arrière possible

La rhétorique suivant laquelle la sécurité est une mission de l'État est dans un cul-de-sac politique, administratif et budgétaire. Selon moi, il n'y a pas de retour en arrière à moyen terme si l'on entend par là environ une décennie. Le fait que les élus locaux PS et écologistes critiquent la politique du gouvernement au motif que l'État ne remplit pas ses devoirs ou confond les deux polices n'a pas d'efficacité politique nationale. Or, dans un système centralisé, la politique est nationale, y compris celle qui vise à donner plus ou moins de pouvoirs aux maires. Ces partis ne bénéficient pas de la chute de la popularité du président et n'ont pas de proposition alternative forte sur les questions de sécurité. Même s'ils arrivaient au pouvoir en 2012, partiraient-ils en guerre pour déshabiller les élus locaux et leurs policiers ? À droite, les élus locaux champions des effectifs de police municipaux comme Christian Estrosi ou de la vidéosurveillance s'accommodent très bien de la situation.
Après tout, est-ce si dramatique ? Si la police municipale est bien formée, bien entraînée et bien contrôlée, tous terrains sur lesquels, il est vrai, des progrès doivent être réalisés, pourquoi ne pourrait-elle remplir différentes missions de police ? Grâce à la crise des finances publiques, la France est sur le point de réussir à rapprocher d'une part une police qui fait de la prévention et de l'investigation de proximité et, d'autre part, la population, sous la houlette du maire. Cette police a un nom. Avec ces dernières réformes, Nicolas Sarkozy aura finalement réussi, sans le savoir, à relancer la police de proximité.

 

 

PS: Le sérieux de la revue "la lettre du cadre territorial" n'est plus à faire et la maîrise du sujet par l'auteur de l'article (Sébastian ROCHE) incite à en faire la publicité.

Publié dans police municipale

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